Roland-Garros – Pour Nicolas Escudé, si on veut que le tennis français progresse, « il faut secouer le cocotier »

C’est la tradition, une fois le dernier joueur Français éliminé à Roland-Garros, le Directeur technique national vient faire un premier bilan. Nicolas Escudé n’y a pas coupé et il s’est d’abord voulu optimiste. « On ne va pas dire que c’était une première semaine catastrophique, loin de là. On a vu de belles choses, notamment chez les filles, et une renaissance, celle de Gilles Simon. »

Pour autant, difficile de se satisfaire de commencer une nouvelle semaine sans représentant tricolore dans les deux tableaux. Escudé n’y va pas par quatre chemins, il s’y attendait. « C’est compliqué en ce moment. Une génération est en train de tourner la page et la génération d’en dessous marque le pas, même si elle a été mieux que ça. » Et le DTN d’évoquer Lucas Pouille ou Ugo Humbert, « Ils sont dans le dur, il faut dire ce qui est ».

Bien sûr, il s’attend à une volée de reproches venant de tous horizons. Mais il rappelle que la DTN ne peut être jugée que « par rapport à la matière qu’elle a entre les mains. Aujourd’hui, on n’a pas d’Alcaraz, avec la progression qui est la sienne, ou de Rune, qui a sorti Gaston. » Le réservoir français est-il vide pour autant ? Escudé ne le croit pas. « On a de bons joueurs, mais il faut peut-être leur laisser un peu plus de temps. Mais à nous aussi de faire en sorte que ça aille plus vite. »

« Tout le monde doit se poser les bonnes questions »

Oui, mais comment. Cela fait des années que les discours se ressemblent, avec la promesse de beaux potentiels qui ne demandent qu’à éclore. L’an dernier, quatre Français étaient en demi-finale de l’édition junior, oui. Mais qu’ont-ils fait depuis un an ? Escudé est bien obligé de reconnaître qu’« ils n’ont rien fait péter… » Enchaîner les tables rondes changera-t-il quelque chose ? Escudé veut le croire. En tout cas, il veut une prise de confiance forte. « Tout le monde, du DTN à l’enseignant de club, doit comprendre pourquoi on en est là aujourd’hui. Et tout le monde (il insiste) doit se poser les bonnes questions, à tous les étages. »

« On ne peut plus se satisfaire de personnes à ¾ temps, non. Le haut niveau, c’est du plein-temps. »

Nicolas Escudé

Et surtout se remettre au boulot. Car si le facteur générationnel de l’équation ne peut pas être mis de côté, il est clair qu’à un moment, la Fédération a failli. Et Escudé ne s’échappe pas quand on aborde le sujet. « On s’est probablement reposé sur nos lauriers. Par certaines politiques sportives menées, on s’est peut-être trompé. Mais c’est difficile de construire une politique sportive en quatre ans, surtout si c’est pour tout défaire derrière. Il faut de la continuité et de la stabilité. Or c’est ce qui a manqué ces 10, 15 dernières années. »

Comme beaucoup d’autres, la Fédération française de tennis se serait-elle embourgeoisée, plus intéressée par l’apparat et la communication que par le travail de fond ? Le « Scud » ne va pas jusque-là, mais il prévient que les choses vont devoir changer. « Il va falloir secouer le cocotier. Remobiliser, redynamiser, passer des coups de balai, c’est certain. Il va falloir que tout le monde prenne la mesure des choses. On ne peut plus se satisfaire de personnes à ¾ temps, non. Le haut niveau, c’est du plein-temps. »

Le discours est servi d’une voix ferme, droit dans les yeux et avec le poing qui frappe la table. On sent vraiment chez le DTN l’envie de sortir d’un cercle vicieux où l’effort n’est plus la valeur première. « Certains se sont installés dans une sorte de confort. C’est facile en France, il suffit de voir les wild cards qu’on a attribuées et les prix au premier tour. C’est simple, la vie en France, on peut y vivre du tennis sans avoir des objectifs surdimensionnés, sachant que la Fédération est là et qu’on aura des wild cards. Mais ce n’est pas notre objectif. Le haut niveau, c’est sans cesse repousser ses limites et pas juste attendre un mois et demi avant Roland-Garros et mettre un coup de booster pour apparaître dans les radars. Non, c’est un travail tout au long de l’année. »

Des jeunes sans réelle ambition

Et ce travail ne peut se faire sans une réelle ambition, sans un projet émanant du joueur. Or, c’est souvent là que réside le problème. « C’est trop facile de taper sur l’encadrement, se défend Escudé. Les joueurs ont leur part de responsabilité. Ils doivent savoir où ils veulent aller et comment ils vont se structurer pour y aller. Parce que si on met un Toni Nadal ou un Vajda sur un joueur qui ne sait pas trop ce qu’il veut, vous pensez que ça va donner quoi ? Tout le monde doit être conscient de ça. Nous ne sommes pas là pour faire du social. La Fédération n’est pas là pour aider, elle n’est pas pour accompagner, donner un peu d’argent, si c’est pour ne pas être performant. Aujourd’hui, il faut de la performance (il tape encore sur la table). »

Pour trop de jeunes Français, le tennis reste encore un choix parmi d’autres, alors qu’ils sont entraînés par la Fédération. Certes, les Alcaraz et Rune, tous deux 19 ans, peuvent faire figure d’extraterrestres, mais ils ont au moins une ambition affichée qui les porte même dans les moments de doute. Avant même de parler technique tennistique, il faut absolument retrouver ce feu sacré chez nos plus jeunes.

Réinvestir le terrain et renforcer la détection

Nicolas Escudé le sait parfaitement. C’est aussi pourquoi il veut un retour au terrain, au plus proche des futures pépites. « Ces derniers temps, les Équipes techniques régionales (ETR) n’étaient plus sur le terrain comme elles auraient dû l’être. Elles ne faisaient plus ce pour quoi elles s’étaient engagées alors que leur rôle premier est la détection. Et elles ont cette compétence. Quand je suis arrivé, dans certaines ligues, sur trois générations, il n’y avait aucune fille en détection. Zéro ! Comment est-ce possible ? Et après, on se pose la question de la relève… Mais si dès le départ on prend du retard, c’est impossible. On doit arrêter de courir après le train alors que c’était l’une de nos forces. »

« Trop de monde pense que la wild card est un dû et qu’il suffit de la demander. C’est un peu plus compliqué que cela. »

Nicolas Escudé

D’où la réouverture de pôles nationaux, notamment à Poitiers, alors qu’ils avaient été fermés par la précédente présidence qui avait préféré laisser les clubs gérer le suivi de leurs joueurs. « Il faut regrouper nos meilleurs joueurs pour qu’ils s’entraînent ensemble. » Et une politique différente pour les wild cards. « On a remis en place le système de la Race car trop de monde pense que la wild card est un dû et qu’il suffit de la demander. C’est un peu plus compliqué que cela. Maintenant, les joueurs et les joueuses ont l’opportunité d’aller se la gagner la wild card (c’était le cas de Léolia Jeanjean cette année). »

Certes, le bilan n’est pas des plus brillants après ce Roland-Garros, étape obligatoire de l’état des troupes françaises. Escudé synthétise la situation en une dernière phrase. « Il reste du boulot. »

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