Espagne : mais à quoi joue Luis Enrique ?

Lundi matin, la Fédération Espagnole de football a dévoilé la liste des 23 joueurs retenus par Luis Enrique pour les prochains matchs de la Roja, face à la Grèce, la Géorgie et le Kosovo, tous trois comptant pour les qualifications du Mondial 2022. Et, une fois n’est pas coutume, il y a énormément de changements et de rotation par rapport à la dernière liste. Parmi les nouveaux visages, Pedri, qu’on ne présente plus, ou l’autre grosse sensation de la Liga, l’ailier Bryan Gil, qui pourrait d’ailleurs bien devenir coéquipier du Canarien dès la saison prochaine. Et bien d’autres joueurs encore, qu’on attendait pas forcément, comme Robert Sanchez, le portier de Brighton. Habitués à des changements radicaux dans les listes des sélectionneurs ibériques, certains observateurs commencent tout de même à s’inquiéter : comment construire un squelette et vrai groupe un quand il y a autant de changement ? Comment être compétitif à l’Euro alors qu’à trois mois de la compétition, il n’y a pas ne serait-ce qu’une colonne vertébrale de 7/8 joueurs déjà définie ?

🔴 OFICIAL | Esta es la convocatoria de @LUISENRIQUE21 para los tres próximos compromisos internacionales de la @SeFutbol en la Fase de Clasificación para el Campeonato del Mundo de #Catar2022.#SomosEspaña #SomosFederación pic.twitter.com/9iqnlSZ8aq

— Selección Española de Fútbol (@SeFutbol) March 15, 2021

Effectivement, lorsqu’on regarde tous les joueurs utilisés et des rotations (dans les groupes et les onze) de Luis Enrique depuis son retour à la tête de la sélection ibérique, il n’y a que très peu de joueurs dont on sait qu’ils seront titulaires à l’Euro. Seul Sergio Ramos est pratiquement assuré d’avoir sa place dans le onze titulaire. Derrière, il y a d’autres postes où le vent semble avoir tourné en faveur d’un élément, sans pour autant être définitif. Le débat du gardien de but par exemple, où Unai Simon de l’Athletic est passé titulaire devant David De Gea, mais rien n’indique que le Mancunien est définitivement écarté. Qui de Rodri ou de Busquets sera titulaire au milieu ? Sur le côté gauche, Sergio Reguilon, José Luis Gaya et le revenant Jordi Alba semblent sur un pied d’égalité. L’arrivée de Pedri rebat-elle les cartes au milieu où il est difficile de départager des joueurs comme Sergio Canales ou Fabian Ruiz ? Et bien d’autres interrogations encore. Il faut dire que Luis Enrique n’a au final que très peu de joueurs espagnols dans des situations solides en club sur lesquels s’appuyer.

Un gap d’une génération

Aujourd’hui, le vivier espagnol est pour le moins étrange, du moins si on le compare à ceux des autres nations qui pèsent en Europe… Les joueurs les plus performants restent des joueurs relativement « nouveaux » et/ou jeunes, comme les deux ailiers cités plus haut et Ansu Fati (blessé), Ferran Torres (pas toujours utilisé en club mais excellent en sélection), Pau Torres (également blessé) ou Marcos Llorente, un peu plus âgé mais sur une évolution monstrueuse depuis un an. Mais ensuite, il y a un trou, et il faut grimper à l’échelon supérieur pour trouver trace de joueurs performants et avec un minimum d’expérience dans l’élite, comme Ramos, Alba ou Busquets. Un fossé qui s’explique en partie parce que la génération qui a suivi les Xavi et les Iniesta, représentée par Isco ou Asensio, a finalement eu du mal à s’imposer. De Gea, Koke, Thiago et Morata (on peut ajouter Carvajal, blessé) sont d’ailleurs les seuls représentants de cette équipe qui avait roulé sur l’Euro espoirs en 2013 et qui devait arriver à maturité aujourd’hui. Au final, seuls le portier des Red Devils et le latéral merengue ont toujours eu un rôle important chez les seniors. Dans le même temps, la génération qui a suivi a aussi du mal à s’illustrer, à l’image de Dani Ceballos.

L’excellence sur la durée, on ne connaît plus vraiment en Espagne. Thiago Alcantara en est un bon exemple. Enfin brillant sur l’ensemble d’une saison avec le Bayern l’an dernier, il est bien plus en difficulté à Liverpool aujourd’hui, mais pas que. Son cousin Rodrigo Moreno par exemple, longtemps indiscutable dans les groupes espagnols et souvent titulaire, a perdu sa place après être parti à Leeds cet été, où il doit se contenter d’un rôle anecdotique. Pour Jordi Alba, c’est l’exemple inverse. De retour dans une liste car performant avec le Barça, a longtemps été en-dessous de son niveau habituel ses dernières années. Difficile, dans ses conditions, de bâtir un semblant d’équipe type. Au total, depuis son retour en novembre 2019, Luis Enrique a fait appel à 40 joueurs différents ! Une donnée qui témoigne du manque de stabilité dont souffre cette équipe, et qui s’explique par les facteurs cités ci-dessus. Sans véritable noyau dur, tous les joueurs performants en club peuvent se voir rapidement catapultés dans une liste du coach asturien en raison du manque de tauliers installés.

Depuis son retour sur le banc de la Roja, Luis Enrique a fait appel à 40 joueurs différents lors de 4 convocations. L’anti-Deschamps. pic.twitter.com/0rFkJHkedl

— Enki (@Enki18_) March 15, 2021

Le Mondial 2022 en ligne de mire

Une sorte de transition permanente, où la méritocratie existe mais a tout de même tendance à récompenser les éléments plus jeunes. Luis Enrique ne semble pas vouloir construire en vue de cet Euro, mais plus sur le moyen et le long terme. La présence de Pedro Porro (Sporting, prêté par Manchester City) à la place de l’expérimenté Jesus Navas, pourtant toujours aussi performant, nous le prouve. L’ancien entraîneur du Barça veut tester le plus de joueurs possible afin de concocter un groupe aujourd’hui encore un peu léger pour espérer faire quelque chose à l’Euro, mais qui avec quelques mois de haut niveau de plus peut être compétitif au Mondial du Qatar qui se jouera en décembre 2022, 18 mois après l’Euro. On peut donc comprendre le pari Eric Garcia, barré à Manchester City mais dont le futur va s’inscrire à Barcelone, où il pourrait éventuellement exploser dans un contexte favorable et où il devrait avoir plus de temps de jeu. « Je ne sais même pas combien de joueurs du groupe qui a battu l’Allemagne (victoire 6-0 en amical en novembre dernier, NDLR) sont là aujourd’hui, et je m’en fiche », a expliqué Luis Enrique, confirmant qu’il n’est actuellement pas dans une optique de création d’un groupe commando pour être sûr de faire bonne figure en juin.

Et de toute manière, au vu de la situation du vivier actuel, peut-il vraiment faire autrement ? Plus qu’une véritable philosophie, on peut même aller jusqu’à parler de choix par défaut. Quitte à ne pas pouvoir construire un groupe ultra-compétitif en raison des limites du vivier présent et des prestations, autant travailler pour l’avenir, même si contrairement au football de club la sélection nationale exige un rendement immédiat. C’est donc dans les premières convocations d’après-Euro qu’on devrait avoir plus d’éléments, et, éventuellement, commencer à avoir un peu plus de stabilité au niveau des joueurs appelés. Un pari tout de même risqué, puisqu’on sait très bien qu’en Espagne, ça va grincer des dents en cas de mauvais résultats cet été. D’autres débats pourraient également être ouverts sur le rapport entre la faiblesse des deux ogres de la Liga en ce moment et, par conséquent, leur manque d’apport de joueurs de talent à la sélection. Mais c’est, là encore, une autre question sur laquelle on pourrait écrire pendant des heures. Attendons donc la fin du mois de décembre 2022…

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