Pourquoi la préparation mentale manque de considération dans le football


Maillon essentiel de la performance, la préparation mentale reste pourtant marginalisée dans le football. Même si de plus en plus d’entraîneurs et de joueurs font appel à des professionnels du mental, globalement peu d’équipes professionnelles et de centres de formation y sont ouverts. À quoi ou à qui la faute ?

« Non, on ne travaille pas avec un préparateur mental. On n’a pas réfléchi à cette chose-là. Cela voudrait dire aussi que nous ne sommes pas préparés et que les joueurs ont un problème mentalement. (…) Travailler avec un coach mental est très spécial. Il faut aussi une grande confiance pour le faire, c’est très délicat. » Le 4 janvier 2020, l’intervention de Thomas Tuchel en conférence de presse avait de quoi surprendre. Connu pour son ouverture d’esprit, l’actuel entraîneur de Chelsea avait partagé sa réticence à collaborer avec un préparateur mental. Pourtant, on le sait tous, le mental joue un rôle important dans la performance sportive. C’est d’ailleurs lui qui est souvent pointé du doigt en cas de désillusion sur le terrain, mais toujours est-il que de le travailler au quotidien reste marginal voire encore tabou pour certains.

« Quand on parle de santé mentale dans les clubs de football, on entend toujours: « va consulter un psychologue » Mais quand va-t-on voir un psychologue ? Seulement quand on se sent vraiment mal. C’est un peu intimidant d’aller parler à quelqu’un à propos de ses problèmes. (…) Je ne vois jamais un entraîneur donner le numéro d’un préparateur physique à l’un de ses joueurs et lui dire: « si ça te tente d’améliorer tes performances physiques, voici le numéro que tu peux appeler ». Ça ne fonctionne pas comme ça. Dans les clubs, il y a désormais un staff avec des préparateurs physiques, des chercheurs et des sessions de musculation régulières planifiées dans la semaine. L’entraînement physique et l’analyse vidéo font partie d’un tout. On a même fait un pas en avant au niveau de la nutrition avec l’intégration de nutritionnistes dans les clubs qui établissent un programme alimentaire et qui le transmettent aux chefs cuisiniers. Pourquoi ne faisons-nous pas la même chose quand il s’agit de travailler sur nos émotions ? », s’est interrogé sur Sky Sports l’entraîneur espagnol Edu Rubio, qui collabore avec l’académie de Crystal Palace et qui a co-fondé l’entreprise My Energy Sport pour accompagner les clubs professionnels sur la partie mentale. Mais d’où vient vraiment le problème avec le mental ?

Une méconnaissance générale du mental et des métiers qui en découlent

Psychologue du sport depuis 15 ans, Delphine Herblin travaille régulièrement auprès de clubs de football, d’entraîneurs et de joueurs professionnels. Elle a pu voir l’évolution de la perception du mental dans le football de haut niveau. Elle raconte: « la première fois qu’un club m’a directement contacté, c’était par rapport à un joueur qui était censé marquer des buts mais qui ne mettait pas un pied devant l’autre. Et vu que la situation sportive du club n’était pas au niveau de leur ambition, il voulait grossièrement que je règle le problème et que le joueur en question marque des buts. Je me souviens que l’on était à trois jours d’un match important quand j’ai consulté ce joueur pour la première fois. J’ai évidemment réorienté la demande initiale car ce n’est pas comme ça que le métier fonctionne. On ne fait pas marquer des buts aux joueurs sur commande, ce ne sont pas des machines mais bien des humains. On s’inscrit sur la durée avec eux en essayant de comprendre ce qui met le joueur en difficulté afin de l’aider à se sentir mieux. Et un joueur qui se sent mieux augmente logiquement ses probabilités d’être performant. Il s’est avéré qu’avec ce joueur, il y a eu un alignement des planètes puisqu’il a marqué deux buts lors du match suivant notre rencontre. C’était un coup de pouce du destin qui a contribué à ce que le club réalise que de travailler spécifiquement l’aspect mental avait une importance non négligeable dans la performance. J’ai donc continué à être sollicitée et je travaille aujourd’hui régulièrement avec un club de Ligue 1. »

Ancien entraîneur adjoint du Paris Saint-Germain, Denis Troch exerce désormais en tant que coach mental auprès de sportifs de haut niveau, dont des footballeurs. Il est très bien placé pour savoir ce qui peut freiner les acteurs du football professionnel. « Je pense que l’entraîneur a peur que l’on empiète sur son domaine. Il pense être capable de travailler physiquement, tactiquement et mentalement avec ses joueurs. Il pense naturellement que l’aspect mental est son rôle. Il voit d’un mauvais œil l’apport d’un préparateur mental. Moi, j’ai été entraîneur, mais je n’aurais jamais pris un préparateur mental, jamais. Aujourd’hui, je fais du coaching mental, de l’accompagnement, mais ça n’a rien à voir avec la préparation mentale. Le préparateur mental, ça fait peur car on comprend que quelqu’un va « préparer » le cerveau de tes joueurs. C’est compliqué », témoigne celui qui a aussi été l’entraîneur du Havre et d’Amiens.

Ce témoignage illustre la méconnaissance générale de ce qu’est le mental. D’ailleurs comment le définir ? Est-ce la tête, le cœur, les émotions ? En réalité, le mental regroupe à la fois des fonctions cognitives, instinctives, analytiques, logiques, conscientes et inconscientes. Il s’agit donc du cerveau avec un grand « C », qui est en perpétuelle évolution et dont les réseaux neuronaux peuvent se construire et se déconstruire quasiment à l’infini. Dire ou penser que tel joueur n’a pas de mental est donc une absurdité car, sauf pathologie, nous avons tous un mental qui peut évoluer ou stagner par rapport à nos expériences, à nos connaissances, à nos apprentissages et à nos croyances. Le mental reste donc un domaine complexe à appréhender, directement lié aux autres composants de la performance sans que l’on en est conscience, et des nouvelles découvertes fleurissent d’ailleurs encore régulièrement à son sujet. Mais est-ce suffisant pour expliquer ce flou autour de certaines professions du mental ?

Manque de clarté et de réglementation

Profession récente et pas encore réglementée contrairement à celle de psychologue, le métier de coach/préparateur mental suscite autant d’adeptes que de réfractaires dans le football. Et pourtant, le marché des coachs/préparateurs mentaux n’a jamais été aussi dense en raison des nouvelles formations en ligne qui délivrent des certificats et des diplômes malgré peu d’heures de pratique. « Il est vrai que le secteur du coaching n’est pas régulé et de ce fait, toute personne peut s’appeler coach ou préparateur mental. C’est un vrai sujet. Cependant, je ne pense pas que cela constitue un frein car de nombreuses professions ne sont pas régulées et ont trouvé leur équilibre. Il y a de très bons préparateurs mentaux, il faut juste savoir les trouver. De mon côté, j’ai créé le GPI (Global Performance Index), qui est un outil d’auto-évaluation mentale que j’ai développé en 2019 en travaillant avec un footballeur anglais. L’idée était de régler deux difficultés que rencontre le secteur du coaching globalement: une entrée en matière trop lente et la nécessité de mesurer l’impact du coaching », nous indique Alex Kergall, coach français basé en Angleterre. Il est vrai que contrairement à la préparation physique, les résultats de la préparation mentale ne sont pas vraiment perceptibles. « Aujourd’hui, ce qui est à la mode dans les clubs de football, ce sont les datas mais l’aspect mental ne peut être évalué de cette façon car le psychisme est une part plutôt immergée de l’iceberg et chercher à tout prix des mesures paraît peu adapté. Cela peut rassurer les staffs de coter et évaluer tout et tout le temps, car ils cherchent à objectiver. Mais nous, nous travaillons sur l’humain sous le maillot de foot donc nous subjectivons, c’est-à-dire que nous allons considérer l’autre comme un sujet et non pas comme un objet de performance », agrémente Delphine Herblin.

Pour votre compréhension, nous allons distinguer les différents métiers du mental. Un psychologue du sport acquiert son titre professionnel après un cursus universitaire de cinq années. C’est après l’obtention de son Master 2 en psychologie qu’il peut exercer sa fonction en toute légalité. « Le psychologue va travailler davantage sur l’inconscient. Sur les profondeurs de l’individu, sur ses racines, sur ses émotions les plus complexes et sur sa part la plus obscure. Le psychologue va donc travailler en profondeur sur les symptômes. C’est-à-dire qu’il part du principe que ce qui apparaît à la surface est l’expression d’un mal plus profond. Le coach mental, lui, va davantage régler le problème apparent. C’est là que se situe la différence. Le psychologue va dénouer le problème en profondeur quand le coach mental va agir sur le problème apparent, et c’est pourquoi ces deux métiers sont complémentaires », nous avait déjà expliqué Delphine Herblin. « Le psychologue va gérer les pathologies, d’où le lien avec le passé, quand le coach mental travaille davantage sur le présent, donc sur l’action, et le futur », résume pour sa part Alex Kergall. Reste à distinguer les métiers de coach mental et de préparateur mental. En réalité, ces deux métiers sont quasiment identiques, seuls le cursus et les outils vont éventuellement changer. Il s’agit donc de deux professions qui ne sont pas officiellement reconnues en France. D’un côté, il y a le coach mental, dont le titre et la certification vont s’obtenir à travers une formation professionnelle. Les coachs mentaux sont généralement aussi formés en PNL (programmation neuro-linguistique) voire en hypnose pour disposer d’une palette d’outils plus large. De l’autre côté, le préparateur mental a généralement suivi un cursus universitaire avec au minimum un DU en Préparation Mentale (équivalent à un niveau Licence 3) mais il peut aussi poursuivre sa formation jusqu’en Master 2 en Préparation Mentale. Avec autant de parcours différents, on comprend pourquoi le flou subsiste et pourquoi certains clubs et joueurs de football professionnels soient méfiants.

Delphine Herblin complète: « certains clubs et joueurs ont aussi été échaudés par des mauvaises expériences avec des personnes dont les méthodes et les intentions n’étaient pas éthiques. J’ai eu des témoignages d’entraîneurs qui m’ont révélé que certains coachs mentaux empiétaient clairement sur leur management, en voulant prendre une place trop importante au sein du club. Selon moi, la crédibilité du métier de coach mental passera par une réglementation claire mais celle-ci devrait à mon sens laisser un panel assez large d’approches pour ne pas tomber dans un dogme. Selon moi, il est aussi très important d’avoir un certain bagage parce que certaines formations délivrent des certificats de coach après seulement une vingtaine d’heures de cours à distance. Ce qui n’est pas très cohérent. Il faut comprendre que l’outil principal d’un coach, ce ne sont pas les outils de coaching qu’il maîtrise comme la visualisation, la respiration, mais l’humain. Son outil principal, c’est donc la relation qu’il instaure avec la personne qu’il accompagne, la compréhension de cette relation et du psychisme de l’autre mais aussi du sien. Pour obtenir une neutralité et se défaire de ses propres croyances, il faut forcément avoir fait un travail sur soi. Cela veut dire que c’est le psychisme du professionnel qui fait office de compétence. Si le coach mental n’a pas fait un travail sur lui-même, cela me paraît aux antipodes de la profession. »

Des propos appuyés par Denis Troch: « avant, on disait souvent que si un joueur allait voir un psy ou un coach mental, c’est qu’il avait un problème, alors qu’aujourd’hui, on travaille sur la performance: comment la rendre récurrente pour être excellent, pour maintenir son niveau de performance. Quand on a cette approche-là, les joueurs sont moins frileux. Ils ne viennent pas avec la crainte de se faire retourner le cerveau. Ils savent ce dont ils ont besoin. Ils ont besoin d’un petit détail, pas de bouleversement. Souvent, les préparateurs ou les coachs mentaux veulent tout bouleverser et ils changent tout, en voulant tout théoriser et en se réfugiant dans ce qu’ils ont appris dans les universités. Alors qu’il y a juste un petit truc à changer pour le transformer. » Il faut aussi mentionner les personnes qui surévaluent leurs compétences dans le domaine en s’autoproclamant préparateurs mentaux (sans se former donc) juste parce qu’ils ont été, pour la plupart d’entre eux, athlètes de haut niveau et qu’ils ont surmonté des périodes difficiles dans leur carrière. Ces personnes n’ont ni outil, ni méthodologie d’accompagnement et donnent une image erronée de la profession. Certains joueurs, eux-mêmes, n’accordent leur confiance qu’à ceux qui ont été à leur place et qui « connaissent le chemin pour y arriver », sans réaliser que les aspects mentaux et « les chemins » sont personnels, qu’ils demandent une vraie expertise et que tout ce qui a bien marché pour quelqu’un ne marchera pas forcément pas pour d’autres. Comprenez qu’il ne suffit pas de penser et d’agir comme Cristiano Ronaldo pour être Cristiano Ronaldo. Cristiano Ronaldo s’est construit à partir de sa propre histoire, ses expériences, ses croyances, ses valeurs pour être ce qu’il est et cela ne se transfère pas comme par magie.

Le marketing, le grand paradoxe des métiers du mental

Les psychologues comme les coachs/préparateurs mentaux s’astreignent normalement à un code déontologique. Parmi les fondamentaux du code déontologique des coachs figurent notamment la confidentialité (le secret professionnel), la posture, qui leur interdit d’exercer tout abus d’influence, et la supervision, qui leur permet de faire un point régulier avec leurs pairs pour vérifier leur posture et leur façon d’exercer le métier. Or, certains n’hésitent pas à se vendre fièrement et à étaler la liste de leurs clients. Il s’agit là d’un paradoxe difficile à gérer. « Comme me l’a formulé récemment un journaliste, il y a le savoir-faire et le faire-savoir. La difficulté pour un psychologue ou un coach/préparateur mental, c’est justement de communiquer sur ce que l’on sait faire alors que nos professions exigent de la discrétion, de la confidentialité et qui normalement ne se « markettent » pas. Ce voile est très important car il nous préserve, nous les professionnels, mais aussi les personnes que l’on accompagne. Si on prétend que l’on est dans la confidentialité mais que l’on crie sur tous les toits le nom des joueurs que l’on accompagne, il y a un bug selon moi. La question du marketing, de la promotion pose clairement des soucis d’un point de vue éthique. D’un côté, il est normal de vouloir promouvoir ses compétences mais de l’autre, peut-on vraiment se vendre quand on exerce ces métiers ? », questionne Delphine Herblin.

L’enjeu pour les clubs, les joueurs, les entraîneurs voire même les agents, c’est de rencontrer ou au moins de discuter avec des préparateurs/coachs mentaux et des psychologues pour savoir quelles sont leurs méthodes, leur background, leurs expériences et leur code déontologique. La transparence, le dialogue, l’honnêteté demeurent les clés d’un accompagnement réussi. D’ailleurs, un professionnel du mental n’est pas garant du résultat mais uniquement des moyens qu’il met en œuvre pour accompagner ses clients/patients/coachés. Il est garant de la qualité et du respect de son accompagnement mais pas de leurs victoires. Donc contrairement à ce que l’on pourrait penser, la valeur d’un coach/préparateur mental ou d’un psychologue est indépendante du palmarès des athlètes qu’ils accompagnent. Alex Kergall nous donne sa définition d’un bon coach mental: « pour moi, c’est tout simplement une personne qui va aider le joueur à se poser des questions de qualité. De ces questions vont naître des décisions de qualités. Ces décisions vont entraîner des actions de qualités. Et ces actions répétées créeront des performances élevées. »

José Mourinho

José Mourinho

Autre paradoxe, la place des psychologues et/ou des préparateurs mentaux au sein des équipes de football. Pour qu’ils fassent correctement leur travail, les professionnels du mental se doivent de garder une position neutre et ne pas prendre parti, le tout en gardant une grande confidentialité. Ce qui n’est pas une mission facile. « Je suis volontairement consultante externe pour garder les mains libres et ainsi mon éthique. Car si mon supérieur hiérarchique me demandait ce que m’a dit un joueur en consultation pour savoir s’il devait le mettre sur la feuille de match ou pas, je serais un peu piégée. En tant qu’externe, c’est différent et je peux faire mon travail avec toute ma conscience professionnelle. En plus, ça rassure les joueurs. C’est aussi une manière de me protéger car quand on est constamment dans un club, on ne vit pas les défaites de la même manière. On peut être assommé par la déception et pris dans le mouvement émotionnel du groupe. Être externe me permet de garder de la distance et donc de la neutralité, qui est indispensable dans mon travail. De plus, quand l’enjeu du joueur est aligné avec l’enjeu du club, tout va bien. Mais à partir du moment où les enjeux sont différents, quand un joueur veut changer de club, par exemple, c’est plus compliqué à gérer. C’est pourquoi il est important de travailler sur soi pour pouvoir gérer ces conflits internes et externes. Je pense aussi qu’il est utile d’avoir une équipe ou une cellule mentale, composée d’un psychologue et d’un coach mental plutôt que d’avoir un seul membre dans un staff pour pouvoir gérer ces situations et s’entraider », nous explique Delphine Herblin.

Un frein aussi culturel

Plus ancré et accepté dans la culture anglo-saxonne, l’appel un coach/préparateur mental ou à un psychologue est devenu fréquent voire normal en Angleterre. Dans les clubs professionnels anglais, il n’est pas rare de voir des staffs avec une cellule psychologique. « Culturellement, les Anglais sont pragmatiques et vont utiliser tous les leviers disponibles pour atteindre leurs objectifs. Le coaching est un outil puissant dont ils ne se privent pas. Mais en réalité, plus de 60% des 513 joueurs de Premier League ne sont pas Anglais, et près de 50% des joueurs en Championship (équivalent de la Ligue 2 en France) sont aussi étrangers. Cette diversité a créé naturellement des besoins d’accompagnement », explique Alex Kergall qui exerce à Londres.

Il précise: « accéder à la Premier League est bien plus dur que de rentrer à l’université d’Oxford. La Fédération anglaise de football et la Premier League ont compris que cette compétition pouvait briser des vies, d’où le développement récent de programmes de santé mentale au Royaume-Uni. Le côté sombre du mental est malheureusement plus perceptible que son côté bénéfique. On peut notamment mentionner le suicide de Jeremy Wisten, un jeune joueur qui n’avait pas été retenu dans l’académie de Manchester City. Une tragédie qui souligne les besoins réels pour accompagner et protéger les joueurs. D’ailleurs, de plus en plus de joueurs osent désormais se confier sur leur dépression comme Danny Rose. Et c’est une bonne chose pour faire avancer la cause et sensibiliser sur la santé mentale. »

Diogo Jota

Diogo Jota

En France, il se cultive aussi une philosophie inspirée des grands sportifs américains. La philosophie « No pain, no gain ! » (sans souffrance, pas de victoire). Cette mentalité a-t-elle forcé les joueurs à totalement nier leurs émotions et leur a-t-elle fait plus de mal que de bien ? « D’un côté, c’est vrai que pour être sportif de haut niveau, il faut être capable de supporter des souffrances, des échecs, des sacrifices car cela fait partie de l’apprentissage mais ce n’est pas pour autant qu’il faut en faire un objectif et un leitmotiv. Si cela te permet d’avancer et de donner un sens à ta souffrance, pourquoi pas ? Il faut savoir que quand tu bases ta philosophie sur des slogans comme « marche ou crève », ça peut effectivement marcher comme on peut le voir dans les centres de formation, mais le problème c’est qu’il y a 90% des joueurs qui crèvent. Ne peut-on pas être dans une philosophie qui récupérerait tout le monde ? On n’est pas obligé de crever en fait. N’y a-t-il pas d’autres solutions ? De toute façon, tout ce qui est binaire nous enferme. Plus globalement, je pense qu’il y a un peu de sadisme et de masochisme dans le sport de haut niveau, comme il y en a à peu près dans tous les domaines. Mais justement, dans le sport de haut niveau, tout est poussé au haut niveau, et le sadisme y compris. Pour peu que l’on n’ait pas fait un examen de conscience, on peut tomber dans des excès », analyse Delphine Herblin.

Trouver une unité dans le discours pour démocratiser la pratique

Actuellement, les métiers du mental sont à un tournant. Même s’ils ne sont pas considérés au même niveau que la préparation physique, la prise de conscience du monde du football sur la question du mental est réelle. Ce qui manque actuellement, c’est une unité de la part des professionnels du métier et sans doute encore un peu de temps. Delphine Herblin: « beaucoup de préparateurs mentaux et de psychologues se plaignent de leur manque de considération dans le football mais il faut comprendre pourquoi ils sont mis de côté. Pourtant, tout le monde s’accorde à dire que le mental c’est important mais peu le travaille vraiment. Ça veut donc bien dire que nous, psychologues et préparateurs/coachs mentaux, ne répondons pas à la demande ou bien que nous ne la comprenons pas, ou encore que notre offre n’est pas bien comprise. Chaque profession représente quelque chose dans l’imaginaire collectif et génère des freins différents. Comme je l’ai déjà dit, ce qui peut freiner le coach mental, ce sont les formations express et bancales qui ont fait exploser l’offre par rapport à la demande et qui ont fait du tort à la profession. Il y a donc un problème de légitimité pour eux. À l’inverse, les psychologues ont une autre image qui peut être très péjorative aussi car le premier réflexe c’est de se dire que l’on va voir un psy parce que l’on est fou. L’objectif pour nos professions est donc de désamorcer ou de déconstruire ces craintes ou ces fantasmes en communiquant clairement ensemble. Je crois à une unité entre nos métiers, qui sont complémentaires, et je pense que plus de clubs devraient constituer une cellule mentale avec des coachs et des psychologues plutôt que de faire appel soit à l’un soit à l’autre. »

Elle conclut: « je trouve quand même qu’il y a eu une évolution des mentalités ces dernières années. On peut retrouver de plus en plus de coachs mentaux ou de psychologues dans les staffs des équipes de football. En France, on est toujours un peu en retard mais on y arrive petit à petit. Dans les autres sports collectifs comme le rugby, la préparation mentale devient un ingrédient reconnu du fameux travail invisible. Il faut savoir qu’il faut environ une vingtaine d’années pour faire évoluer les représentations que l’on se fait. Pendant un long moment, le cancer était directement associé à la mort. Aujourd’hui, ce n’est plus trop le cas mais il a fallu ces 20 ans pour que ça bouge. » Une vision et un optimisme partagés par Alex Kergall: « jusqu’ici, le football n’était tout simplement pas encore prêt à accueillir des coachs mentaux. Le secteur du football s’est profondément développé ces 50 dernières années, en particulier sur les aspects physiques et techniques. On a vu arriver des joueurs toujours plus affûtés grâce à l’arrivée des préparateurs physiques. L’enjeu pour la prochaine décennie est clairement l’aspect mental. Une nouvelle génération d’entraîneurs et d’agents s’ouvrent d’ailleurs à la préparation mentale, leurs joueurs vont très certainement développer un avantage compétitif majeur. Je pense que la préparation mentale va donc se développer davantage. Le retour sur investissement est incroyable à partir du moment où le club s’adresse à un coach mental solide. Taboue ou non, la révolution du coaching mental est en marche. »

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Et si tout ce flou autour du mental n’était finalement bien dû qu’à une question de temps ou d’époque ? Après tout, il y a 40 ans, l’entraîneur de football s’occupait quasiment de tout et les préparateurs physiques n’existaient pratiquement pas. Un avenir similaire attend-il les professionnels du mental ? « Je pense que le futur de cette décennie sera le développement personnel et la technologie. Tout ce qu’il s’est passé avec la Covid-19 nous en a donné un aperçu. C’est tendance de dire que l’on va travailler de manière holistique mais je ne pense pas que l’on soit allé assez en profondeur dans cette idée jusqu’ici. Si on reconnaît l’importance de travailler sur l’humain durant la prochaine décennie, ce serait un grand succès culturel. Si on parvient à faire ça en 2030, à faire que de travailler sur les émotions soit aussi normal que d’aller à la salle de musculation, ce serait une victoire », résumait Edu Rubio sur Sky Sports. On ne peut trouver une meilleure conclusion.

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