El Bilal Touré : « pour montrer que je n’étais pas touché par les provocations, j’ai décidé de jongler »

Il n’a que 18 printemps mais pèse déjà presque 50 % des buts de son équipe (4 buts et 1 passe sur 11 réalisations du Stade de Reims depuis ses débuts en professionnel). Ambidextre, efficace dans l’élimination et intéressant en pivot, El Bilal Touré est, depuis son arrivée en janvier, l’une des gourmandises de la Ligue 1. Une réussite qui découle d’un travail invisible digne des grands. D’ailleurs, seulement quelques instants avant d’entendre le son de sa voix, le service de communication du club nous prévient : El Bilal Touré, comme tout ce qu’il entreprend, est loin de prendre cet entretien à la légère.

Foot Mercato : il parait que c’est votre première interview, il y a un peu d’appréhension ?

El Bilal Touré : (il réfléchit) : non pas vraiment (sourire).

FM : sur le terrain, en tout cas, vous n’avez pas perdu vos habitudes avec un but et une passe décisive face à l’AS Monaco, dès la reprise. Ça vous énerve quand vous ne vous montrez pas décisif lors d’un match ?

EBT : Oui. Je me le dis avant chaque match : en tant qu’attaquant il faut que je marque. Si quelqu’un doit le faire, ça doit venir de moi et des joueurs offensifs. C’est notre job de tout faire pour aider l’équipe à gagner.

FM : lors de votre tout premier but en Ligue 1 (le 1er février 2020 face à Angers), vous demandez à tirer le penalty que Yunis Abdelhamid s’apprête à transformer. Pourquoi avoir insisté pour s’en charger ?

EBT : ce n’était pas prévu mais, pour moi, ce genre de situation est pour l’attaquant. Tu dois être le premier sur le ballon. Et puis le penalty venait de moi, je l’avais provoqué. Alors, oui, ce n’était pas moi qui était censé le tirer, mais je me suis dit : c’est mon premier match, pourquoi pas ? Je ne me suis pas mis une pression particulière, j’ai demandé à Yunis (Abdelhamid, ndlr) qui m’a donné le ballon. Puis j’ai fait ce que j’avais à faire.

FM : on vous sent ensuite décontracté au moment de défier le gardien, la pression glisse sur vous ?

EBT : au départ, quand je prends la balle, la pression était forte, notamment avec les supporters derrière le but. Du coup je me suis focalisé sur le but, pour ne voir plus que lui. Des joueurs de l’équipe adverse ont essayé de me déstabiliser, en réponse et pour rester dans ma bulle et montrer que je n’étais pas touché par les provocations, j’ai décidé de jongler (en attendant la décision de la VAR, ndlr).

FM : avant de transformer le penalty dans un style « à la Neymar ». C’est quelque chose que vous faite depuis toujours ?

EBT : Depuis la CAN U20. Je regarde beaucoup de vidéos de Neymar et j’ai copié sa manière de tirer. C’est important (de s’inspirer des meilleurs, ndlr).

FM : vous célébrez ensuite en vous bouchant les oreilles, avant de vous mettre au sol et d’embrasser la pelouse. Pourquoi ?

EBT : (rires) c’était juste pour la pression, le bruit, je ne visais personne, mais je voulais bien montrer que les tentatives de déstabilisation ne m’avaient pas touché ! Ensuite (pour le baiser au sol, ndlr), c’est ma célébration à moi, j’aime bien faire ça. C’est pour remercier Dieu.

FM : en marquant, vous devenez le plus jeune buteur du club dans l’élite sur les 50 dernières saisons (à 18 ans et 121 jours). Vous n’avez pas de temps à perdre ?

EBT : c’est ça. Tant que j’ai du temps de jeu, je dois faire mieux qu’au match d’avant. C’est l’objectif en tout cas. Je ne me préoccupe pas de l’âge sur le terrain, simplement de ma mission qui est de marquer des buts. Pour être tout à fait honnête, au moment de marquer je ne savais pas que j’allais devenir le plus jeune buteur, c’est quelque chose de positif et cela m’incite à travailler encore plus pour confirmer.

El Bilal Touré laisse le vétéran José Fonte dans le rétroviseur.

FM : on vous dit et vous sent extrêmement déterminé, sur et en dehors du terrain. D’où tirez-vous votre envie de réussir ?

EBT : l’envie est là depuis la base, grâce à mon coach à la formation. C’est lui qui a mis cette envie de vaincre en moi. Il nous disait de prendre chaque match au sérieux, de se servir des erreurs du match passé pour devenir encore meilleur et qu’à chaque fois que l’on joue un match c’est pour le gagner. Ce qui fait que, quel que soit la difficulté du match, j’ai toujours ça en tête. Quand ça se complique, je sais ce que j’ai à faire.

« Chaque soir je fais des séances chez moi pour clore la journée de travail »

FM : on nous a dit que votre premier achat en arrivant à Reims était un vélo d’appartement.

EBT : oui, c’est pour la récupération.

FM : il parait d’ailleurs que, dès que vous vous levez, vous faites des abdos et des pompes. Qu’un peu à la manière d’un Cristiano Ronaldo, vous ne laissez rien au hasard, que cela soit dans votre alimentation ou dans l’exigence que vous vous imposez.

EBT : c’est vrai que c’est très important pour moi. Tous les docteurs et préparateurs physiques que j’ai croisé m’ont dit que c’était la base d’un footballeur, de récupérer. Et cela dure depuis le centre de formation au Mali, donc j’ai essayé d’inclure ça en moi. Chaque jour je fais des séances au club et le soir chez moi pour clore la journée de travail. J’ai conscience que le corps est notre outil de travail et qu’il faut l’entretenir.

FM : vous êtes quelqu’un qui semble très à l’écoute.

EBT : oui, énormément. Je peux même dire que c’est mon point fort. C’est ça qui m’a toujours fait avancer. Chaque jour on peut apprendre de toutes les situations et de toutes les personnes.

FM : on dit que Ronaldo est votre idole, pourquoi ?

EBT : J’aime son courage dans le sens où il a toujours faim de victoires, c’est un travailleur acharné. J’aime sa manière d’être. Tu sens qu’il a toujours envie d’être encore meilleur alors qu’il est déjà très haut.

FM : au fait, vous êtes droitier ou gauche ?

EBT : (très sérieux) je suis droitier… normalement.

FM : parce que vous êtes bon des deux pieds.

EBT : (toujours aussi sérieux) je joue beaucoup du pied gauche mais mon pied fort c’est le droit.

FM : un homme a participé à lancer votre carrière : Mamoutou Kané (entraîneur du Mali U20). Vous pouvez me raconter le lien qui vous unit à lui ?

EBT : au départ, durant les éliminatoires, ce n’est pas qu’il me voulait pas, mais je ne rentrais pas dans la manière dont il voulait faire jouer son équipe. Je misais beaucoup sur ma technique et ce n’est pas le type d’attaquant qu’il voulait. Et quand il ne m’a pas sélectionné et que je suis retourné au club, j’ai travaillé dur pour coller au profil d’attaquant qu’il voulait (plus en pivot, ndlr). Quand je suis revenu, l’attaquant qui devait jouer n’était pas apte et j’ai marqué à l’aller et au retour face au Cameroun. A partir de là il m’a vraiment fait confiance, je suis rentré dans son dispositif.

Mamoutou Kané lors d’un match de la Coupe du Monde des moins de 20 ans.

FM : et depuis ?

EBT : ce coach a fait évoluer ma manière de jouer, il m’a montré qu’un attaquant est un joueur de contact qui accepte les coups de l’adversaire. Il m’a beaucoup apporté et m’a beaucoup conseillé. Il m’appelait toujours dans sa chambre pour parler et il me disait : «un attaquant c’est quelqu’un qui travaille plus que les autres. Si tu veux qu’on te voit sur le terrain, tu dois travailler plus.» Je garde toujours cette phrase en tête. Si marquer est notre job, il ne faut pas oublier le travail collectif.

FM : avec lui, vous remportez la CAN U20 2019. Vous estimez que c’est le premier sommet de votre très jeune carrière ?

EBT : c’était ma première (CAN remportée, ndlr) et la première du Mali. Forcément, ça a été l’un des plus grands moments (de ma carrière, ndlr). J’avais déjà joué la Francophonie (Jeux de la Francophonie, ndlr) mais il y avait beaucoup moins de pression qu’à la CAN. Et puis, pour un joueur Africain, remporter une CAN est une grande étape.

FM : aujourd’hui vous évoluez avec le Mali, mais c’est en Côte d’Ivoire que vous êtes né (à Adjamé). Qu’est-ce que représente pour vous le pays de votre enfance ?

EBT : la Côte d’Ivoire c’est moi, ma personne. Je viens de là-bas, j’ai grandis là-bas, j’ai ma famille là-bas.

FM : quels souvenirs gardez-vous des années qui précédent votre départ au Mali (à 15 ans) ?

EBT : je ne vais pas dire de la «souffrance», mais c’est vrai que c’était chaud là-bas (rires). Après, chacun suit son destin. Seul Dieu sait pourquoi j’ai eu tout ça (ces difficultés, ndlr), mais aujourd’hui j’en parle comme si ça ne s’était pas passé. Cela m’a construit en tant qu’homme.

FM : rejoindre le Mali, c’est un choix que vous estimez déterminant dans votre parcours et dans votre vie ?

EBT : quand on me l’a dit, au départ, je n’y pensais pas. Dès le bas âge, quitter ta famille, là où tu vis, où tu as grandis… Mais j’ai ensuite compris que ma chance était au Mali.

FM : l’année qui suit, vous faites le choix de rejoindre Reims alors que certains des plus grands clubs vous veulent. Pourquoi ?

EBT : C’est un club historique qui est en pleine progression. En arrivant ici, dès la première semaine j’ai compris qu’on donnait la chance aux jeunes et que les gens étaient aimables, que je me sentirai bien. On m’a bien accueilli. A partir de là, je me suis dit que ça ne servait à rien d’aller ailleurs. Ici je peux avancer et y aller étape par étape.

FM : vous êtes d’abord prédestiné à la réserve, sauf qu’en un mois vous vous retrouvez en équipe première et buteur. Encore une fois, vous brûlez les étapes. Ou situez-vous vos ambitions pour l’avenir ?

EBT : je veux vraiment baser ma carrière sur le travail et le sérieux. Ce sont des choses que je ne veux pas oublier. Je vais bientôt avoir 19 ans, j’ai encore beaucoup à prouver, mais mon but c’est d’aller très loin, de m’inscrire dans la tradition des attaquants africains décisifs. Je vais essayer de m’approcher de ce niveau-là.

FM : cette année vous allez découvrir l’Europe (que Reims retrouve 57 ans après). Il y a de l’excitation en vue de ces matches où les «grands» se révèlent et notamment à Reims ?

EBT : c’est vraiment excitant c’est sûr. C’est ce que je regardais à la télévision quand j’étais petit, donc j’espère que je pourrais m’y exprimer. Quand le match arrivera, l’important sera de tout donner pour ne pas avoir de regrets. J’ai envie de vivre cette première expérience européenne à fond.

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