Tennis – Gilles Cervara : « La balle de match n’est pas une fin en soi »

« La balle de match se travaille-t-elle d’une façon précise ?
Pour moi, la balle de match n’est que l’aboutissement de ce qui s’est passé tout au long du match. Plus que d’isoler ce seul fait de jeu et de travailler éventuellement dessus, il s’agit pour le joueur de réussir à concrétiser les avantages qu’il a eus au fil du match, par exemple concrétiser un break ou alors tenir un break tout un set jusqu’à la fin du set. C’est ça qui est souvent le plus difficile au tennis. Dans ces moments, le joueur peut être dépassé par ce qui se passe dans sa tête. Je pense aux changements inconscients de tactique, aux émotions inadaptées, aux projections dans le temps…

Ca s’aborde comment ?
Sur le court, à l’entraînement, avec le joueur, au moyen de situations spécifiques que j’appelle  »gestion du score », mais je ne trahirai pas de secrets avec Daniil. Ca s’effectue aussi à l’extérieur du court. Le travail mental que Daniil a accompli en ce sens avec Francisca Dauzet (accompagnatrice professionnelle de la performance) depuis un certain nombre de mois (juste avant le tournoi de Wimbledon, en 2018) est remarquable. Cela l’a fait énormément progresser intérieurement et permis de concrétiser son travail physique et tennis ainsi que son potentiel intrinsèque évidemment. En tant qu’entraîneur, j’en profite vraiment pour faire l’éloge de ce travail d’accompagnement, car, selon moi, il est trop souvent mis de côté ou mal compris.

Est-ce que ce travail mental se retranscrit précisément dans la manière dont Daniil gère ses balles de match ?
C’est plutôt une gestion émotionnelle générale. Je ne le restreindrais ni à ses fins de match ni à ses balle de match en elles-mêmes. Mais il est indéniable que Francisca l’a aidé à s’améliorer dans ces deux domaines. De son côté, Daniil a eu l’intelligence et l’humilité d’accepter de se faire accompagner pour progresser et travailler cette dimension invisible.

Sentez-vous parfois Medvedev fébrile à la perspective de finir un match ?
Selon les joueurs, on sent de la fébrilité ou de l’émotivité à l’approche de la fin. Mais cela n’a jamais été trop le style de Daniil. Il a souvent bien géré une fin ou une balle de match.

La balle de match n’est donc pas une fin en soi ?
Non, et cela pour plusieurs raisons. Premièrement, pour avoir une balle de match il aura fallu bien conduire son match. Ensuite, chacune diffère d’une rencontre à l’autre. Daniil a battu l’Américain Frances Tiafoe en trois sets relativement faciles en huitièmes de finale à l’US Open (6-4, 6-1, 6-0), et à la fin du match, on sent que Tiafoe est tellement dominé qu’il ne joue plus. Quand la balle de match arrive (une énorme gifle de Medvedev sur le service de Tiafoe, qui lui fait manquer sa volée), elle est abordée par Daniil dans une forme de continuité.

Vous avez d’autres exemples ?
À la toute fin de son match contre le Russe Andrey Rublev pendant le tie-break du troisième set, en quarts de l’US Open (7-6, 6-3, 7-6), le contexte de sa balle de match est totalement différent. Ta concentration et ta gestion émotionnelle doivent être aiguisées comme celle d’un sniper qui va faire son tir. Mais, là encore, c’est la balle de match et les points précédents qui vont avec…

Y a-t-il selon vous une mauvaise façon d’aborder psychologiquement une balle de match ?
Oui, complètement. Parfois, certains joueurs n’ont aucune stratégie mentale construite au préalable. Ils jouent comme ça vient. Souvent, ça ne fonctionne pas. C’est une mauvaise façon d’appréhender ces instants car le joueur ne s’appuie alors sur aucune ressource solide et consciente.

De façon générale, que ne faut-il pas faire ?
Ressasser, par exemple en se disant : « J’ai eu des balles de match plus tôt et je les ai ratées. » Ce n’est pas bon non plus de se projeter en se voyant déjà arrivé. En fait, il faut éviter toutes les projections mentales qui enlèvent des chances d’être performant à l’instant T. Il faut aussi et surtout continuer de se battre parce que l’adversaire peut, tout comme vous, ressentir des émotions qui l’entraveront au moment de conclure. Si on l’oblige à batailler sur le point, plus celui-ci est dur et plus ses émotions peuvent le faire moins bien jouer et certainement rater. »

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